Deux jours s’étaient écoulés depuis mon arrivée. J’avais eu le temps de visiter l’institut, de déambuler dans les couloirs, les étages et la cafétéria. Mais l’endroit qui avait le plus retenu mon attention avait été la bibliothèque. Elle était si grande qu’il me faudrait sans aucun doute plus que toute une vie pour lire tous les livres qui habitaient les étagères. J’avais passé une bonne partie de l’après midi à aménager mes appartements ou plutôt ma chambre qui avait été mise à ma disposition. Elle n’était pas très spacieuse mais pas trop petite non plus. Je m’y sentais plutôt à l’aise. Je m’étais afférée sur le rangement de mes bouquins, de mes habits et des quelques décorations que j’avais apporté. Ne tenant plus en place entre ces quatre murs, je m’étais décidée à descendre à l’infirmerie pour voir à quoi ressemblerait mon nouveau lieu de travail. J’avais eu beau m’occuper l’esprit pendant ces deux jours, je n’arrivais pas à chasser l’idée que ma demie sœur se trouvait sous le même toit. Cette demie sœur qui ne connaissait pas mon existence. Comment aborder le sujet ? Comment savoir pourquoi plutôt elle que moi ? Notre père n’avait pas ressenti le besoin de quitter sa mère pour la mienne il avait préféré ne pas la revoir. Après tout, ma mère n’avait jamais dit à mon géniteur qu’elle était tombée enceinte de lui. Quelle histoire.

L’infirmerie ne me suffisait pas, j’avais réellement besoin de respirer le grand air. On m’avait parlé de la plage qui se trouvait non loin d’ici. J’avais enfilé une veste un peu plus chaude, la fin d’après midi était plus fraîche. J’arpentais les allées à l’extérieur jusqu’à m’enfoncer dans la forêt qui débouchait sur cette fameuse plage. Honnêtement j’en eu le souffle coupé. J’étais certaine qu’ici je me sentirais réellement libre. Le sable s’enfonçait sous mes baskets, la légère brise faisait virevolter mes cheveux et les vagues produisaient un bruit délicieux. Mes yeux scrutaient les moindres coins et recoins de cette plage jusqu’à ce qu’ils se posent sur quelques débris plutôt de taille conséquente. Je fronçais les sourcils comme pour mieux voir et plus je m’approchais plus je distinguais les débris d’un avion. Ma première réaction fut de scruter les horizons pour voir s’il y avait d’autres personnes que moi. Mais il n’y avait pas âme qui vive. J’accélérais le pas m’approchant sans vraiment me méfier des morceaux de taule. Mais une forme à quelques mètres de moi capta mon attention, une forme connue, une forme...humaine. Mais inerte. Mes jambes se mirent à courir sans que mon cerveau ne le leur ordonne. Arrivée à sa hauteur mes genoux atteignirent le sol en une poignée de seconde. En tant qu’infirmière, j’étudiais le moindre signe de vie. Posant mon index et mon majeur sur son cou, je perçu son pouls. Mon cœur chavira. Sans attendre, je cria un  « Monsieur ! » Mais aucune réaction. Je ne perds pas une seconde, le retourne et commence à faire les premiers gestes de secours. Bouche à bouche, pression sur la poitrine sans m’arrêter jusqu’à ce qu’il reprenne connaissance.

J’essaie de garder la cadence, coûte que coûte. Je commence à ne plus avoir de force, je transpire et ma respiration s’accélère. Je n’ai qu’une peur : ne pas pouvoir le sauver. Alors je continue sans m’arrêter une seule fois. Je sens qu’il va recracher toute l’eau qu’il a dans ses poumons, qu’il va ouvrir les yeux qui seront aussi magnifiques et déchaînés que la mer. Je prie même si je ne crois pas en dieu comme si je connaissais cet homme depuis des années. Et pourtant c’est un étranger, un homme que je n’ai jamais croisé durant ma courte existence.

Et puis je sens qu’il bouge. Que ça remue dans son organisme. Je le vois reprendre vie et finalement recracher toute l’eau comme je l’espérais. Il s’est redressé si rapidement que j’en suis tombée les fesses dans le sable. Je le regarde, les larmes aux yeux, j’ai sauvé un homme.

Nous sommes sur une ile, vous êtes en sécurité. Vous avez sûrement été victime d’un crache d’avion. Vous avez survécu.

Il semble perdu, regarde à droite et à gauche comme pour se remettre les idées en place et pose enfin son regard sur moi. Ses yeux sont tels que je les avais imaginés. Des yeux dans lesquels n’importe qui se perdrait. Je déglutis face à cette pensée et ne sait que répondre quand il m’adresse la parole. C’est pourtant simple, il me remercie de lui avoir sauvé la vie et me demande comment je m’appelle de manière implicite. J’essuie mon front du revers de la main dégageant par la même occasion plusieurs mèches de cheveux. Je me ressaisis et lui réponds enfin.

Bennet. Hannah Bennet. Et ce n’est rien j’ai fait mon devoir. Je... je suis heureuse de vous voir avec les yeux ouverts, monsieur...?

Quelle phrase merdique je viens de lui sortir. Mais j’avais besoin de lui transmettre ma joie d’avoir sauvé sa vie. Comment peut on survivre à un crache d’avion ? On ne voit ça que dans les films. Je m’approche un peu plus de lui, et reprends mon rôle d’infirmière. Me permets de poser ma main sur sa joue, pour toucher sa peau qui est glacée. De descendre ma main sur la sienne pour constater la même chose. Cet homme est en hypothermie. Je me hâte, enlève ma veste et lui dépose sur ses larges épaules même si elle est beaucoup trop petite. Je plante mon regard dans le sien et l’air sérieux je l’interroge.

Avez vous des difficultés à respirer ? Comment va votre tête ? Il faut absolument vous envoyer à l’hôpital.

Je crains un manque d’oxygène, une commotion cérébrale ou pire une hémorragie interne. Que sait on sur les coups qu’il aurait pu prendre pendant le crache ?

J’ai les yeux humides oui, voir un homme inerte devant soi ne provoque aucun plaisir à part s’il est juste endormi en attendant que je revienne lui caresser les cheveux. Mais cette scène n’avait rien à voir avec ça. C’était tout le contraire. Il avait bien failli mourir si je n’avais rien fait avec acharnement. Mais ce type semblait ne pas s’en inquiéter plus que ça. Dans un hôpital avec des machines de réanimation, je n’aurais pas eu le même comportement, j’aurais été plus professionnelle. Mais la nous étions sur une plage, sur une île sans hôpital à des kilomètres à la ronde. Un enfer.

Vous étiez presque mort. Il y a de quoi pleurer.

Je n’avais pas pu m’empêcher de lui répondre, je ne suis pas faible mais je ressens des sentiments, des émotions comme tout le monde. Il me regardait avec un air qui se voulait rassurant mais je ne me décontractais pas pour autant du moins pas avant que je ne m’assure qu’il allait bien. Je posais donc mes mains sur lui alors qu’il avait ma veste sur ses épaules. Son nom sortit d’entre ses lèvres. Nolhan. J’aimais ce prénom peu porté. Il était à la fois doux et plein de force. J’accordais de l’importance aux prénoms qui révèlent souvent la personne que vous êtes. Il fit même un brin d’humour, l’homme de la plage.

Si dans l’immédiat, l’un de nous devait souffrir de troubles de la mémoire ce ne serait sûrement pas moi. C’est vous qui avait été victime d’un accident.

Je le lui dis sur le même ton. Il répond ensuite à mes questions, semble évidemment souffrir de maux de tête et j’espère franchement que ça ne lui causera pas de séquelles. En tant que personne et qu’infirmière je pense sur le champ à le conduire à l’hôpital le plus proche mais à ma plus grande surprise il refuse. Catégoriquement. Un café semble plus alléchant. Je lève les yeux au ciel, les hommes et leur fierté.

Comme vous voudrez. Allons à l’institut. Je vous offre un café et appellerai les secours pendant ce temps.

L’emmener dans ma chambre sans autorisation de la directrice était sûrement audacieux. Mais après tout chacun avait le droit de recevoir de la visite d’un homme qui avait failli mourir non ?

Essayez de vous relever. Appuyez vous sur moi.

Je me lève et lui tends une main qu’il doit saisir.

Le sourire qu’il avait plaqué sur son visage était déroutant. Comment peut on être aussi serein après avoir vécu tout, après avoir failli mourir. Jamais je ne m’étais retrouvé dans ce genre de situation mais je n’imaginais pas réagir de la sorte. Peut être qu’elle était là la vraie différence entre un homme une femme. L’homme tente de rester fier quoiqu’il arrive. Il parvient même à me faire sourire, mais qui êtes vous Nohlan ?

Non pas toujours, seulement lorsque je l’ai décidé.

Je laisse planer le mystère, lui souriant l’air espiègle. S’il savait de quoi j’étais capable. Il ne serait sûrement plus entrain de plaisanter sur ce sujet. Mais la n’est pas la question. Il était temps de prendre cet homme en main quoiqu’il en dise.

Sans surprise il me questionna sur l’institut que je n’avais pas trouvé la peine de détailler plus que ça. Un lieu on l’on fait des études scientifiques ? Je ne pu m’empêcher de réprimer un petite rire. Après tout il est vrai que dit comme ça, ça pouvait porter à confusion. Habituellement un tel lieu portant le nom d’Ecole ou d’Université.

Non, c’est une école d’études supérieurs qui compte Patmos elle les étudiants les plus brillants. Seulement je ne pourrai pas vous en dire beaucoup plus, je ne suis là que depuis deux jours.

Je hausse les épaules et lui tends donc cette main pour l’aider à se mettre debout. Il glissa ses doigts dans les miens et à ce simple contact, mon corps d’électrisa. C’était quoi, ça ? Je tente de cacher ma gêne et tente de le soutenir du mieux que je peux. Il se mit de bout tant bien que mal et nous avions à peine fait un pas que je sentais ses jambes se dérober sous le poids de son corps. Nous n’étions pas prêts d’arriver. Je ne savais pas s’il pouvait avancer ou s’il avait besoin de se reposer encore un peu. J’eus rapidement ma réponse quand il s’appuya sur mon épaule. Par réflexe, mon corps se tendit et se contracta pour monopoliser toute la force que j’avais pour cet homme que je ne connaissais pas.

Je crois aussi.. vous pourrez vous reposer dans.. dans ma chambre. J’ai un lit sur lequel vous pourrez dormir avant que les secours arrivent.

J’étais toujours camper sur l’idée de joindre les secours au plus vite. Mais j’étais loin de m’imaginer que c’était ce que Nolhan redoutait le plus.

Appuyez vous sur moi, vraiment. J’ai de la force vous savez. Je lui adresse un sourire confiant. Nous allions y arriver, nous n’avions pas le choix. La nuit ne va pas tarder à tomber. Je ne connais pas vraiment les lieux alors autant ne pas traîner.

Je ne voulais pas le presser mais un peu quand même. Je n’avais aucune envie de me retrouver perdue dans la forêt avec un homme à bout de force et sans aucune trousse médicale. Prêt ? Allons y. Nous nous remontons donc en route, je le soutiens du mieux que je peux et ne parle que lorsque c’est nécessaire pour ne pas user les forces bêtement.

Un temps interminable s’écoule avant que nous ne voyons enfin le bâtiment. La nuit était tombée réellement lorsque nous approchions la lisière de la forêt. J’étais réellement soulagée. Nous y voilà. Dis je essoufflée. Il ne reste plus qu’à monter 5 étages. Un jeu d’enfants, non ? Je tente un sourire mais nous avons tous les deux l’air épuisé.