Après plusieurs jours en isolement, Styx reprenait goût à la liberté. Mais pour combien de temps ? Les termes de sa libération n’avaient pas encore été définis et le jeune homme ne savait pas s’il allait pouvoir reprendre les cours, ni même rester à l’institut. Profitant du doux soleil qui régnait sur l’île aujourd’hui, il avait décidé d’aller s’isoler sur la plage. Seul endroit de l’institut qui lui rappelait chez lui. Bon il manquait la chaleur, la musique, les filles mais c’était toujours ça de pris. Styx alla s’installer contre la falaise pour se protéger du vent froid qui semblait souffler en permanence par ici.

Du sable se colla immédiatement sur son slim noir et contre la semelle de ses bottines. Il enfonça doucement sa main dans le sable et un doux sourire apparu sur le visage du jeune homme. Un sourire fugace qui disparut presque immédiatement. Il appuya la tête contre la falaise et fixa l’horizon. Mais qu’est-ce qu’il foutait ici ? Son frère avait vraiment merdé en l’envoyant dans ce trou perdu. Jamais il ne serait comme tous ces petits bourges ravis d’intégrer ce brillant institut, jamais il ne pourrait se faire passer pour un gentil élève respectueux de ce foutu règlement. D’un autre côté, il n’avait pas d’autre choix que de réussir. Son destin en dépendait.

Styx avait besoin de faire le vide dans sa tête, juste quelques minutes. D’arrêter de ressasser toujours les mêmes pensées et les mêmes craintes. Il sortit son téléphone de sa poche, mis ses écouteurs. Blood Oceans de Ghostemane se déversa dans ses oreilles et le coupa du reste du monde. Pour quelques minutes du moins. Tout en continuant de fixer le ressac des vagues contre des rochers au loin, Styx sortie une cigarette du paquet qu’il gardait dans la poche de son slim et la glissa entre ses lèvres. Tout le défi allait être maintenant de réussir à l’allumer même avec ce vent venu tout droit des enfers.

Styx ouvrit le bombers noir qu’il portait pour protéger la flamme de son briquet et alluma enfin sa cigarette. La fumée se déversa dans sa bouche puis dans sa gorge, diffusant de la nicotine à tout de son corps. Voilà exactement ce dont il avait besoin. Tout son corps se relaxa et son regard se perdit de nouveau sur l’horizon. La musique dans les oreilles, le regard perdu au loin, Styx se sentait bien. La plage était le seul endroit où il pouvait respirer, être lui-même, faire tomber le masque qu’il portait à l’institut. C’était aussi le seul endroit où il était accepté. Un sourire apparut sur son visage en repensant à son escapade catastrophique dans la forêt avec Eydis. Eydis… Où était-elle donc passée ? Est-ce qu’elle se cachait de lui ? Lui avait-il fait peut au point où elle ne souhaitait plus croiser son chemin ? Encore un mystère à éclaircir au sein de l’Institut.

Alors que ses pensées partaient dans tous les sens, une forme féminine fit son apparition sur la plage, non loin de lui. La jeune femme, surement une élève, semblait marcher sur des œufs et ne pas être à l’aise dans le sable. Le vent faisait voler ses cheveux en lui donnant une forme presque fantomatique. Styx pensait être passé inaperçu quand le regard de la brune se posa sur le sien. Elle sembla hésiter, ne sachant pas trop quoi faire. Styx resta figé aussi. Il ne l’avait jamais vu. Est-ce que c’était une intello qui allait parler que de ses cours ? Où une petite bourge qui verrait en lui un excellent moyen de faire chier ses parents en exhibant ses tatouages et sa gueule abîmée ?

Styx fronça les yeux puis décida de se fier au destin. Si cette meuf était apparu sur la plage pendant que lui y était aussi, c’est peut-être qu’Hadès avait décidé de la mettre sur son chemin. Styx leva alors la main devant lui et fit un geste à la brune. A moitié pour la saluer, à moitié pour l’inciter à venir vers lui. Il articula un « Hey » en guise d’entrée en matière. La balle était dans son camps. Si elle voulait fuir c’était le moment où jamais.

Styx regarda la brune s’avancer jusqu’à lui. Il essaya de parier sur quel genre de meuf il était tomber. Est-ce qu’elle allait juste le saluer avant de prendre place à côté de lui ? Est-ce qu’elle était là juste pour lui raconter sa vie et se plaindre de ses parents pétés de thunes. Est-ce qu’elle allait l’envoyer se faire foutre et continuer son chemin ? Non, elle n’était pas ce genre de fille, cela se voyait. Alors que Styx continuait à imaginer différent scénario dans sa tête, la brune s’approcha et une scène totalement inédite se déroula devant les yeux du jeune homme.

La Brune était visiblement mal à l’aise et elle se mit à parler. Vite. Et à débiter tout un tas de banalités qui n’avaient ni queue, ni tête.

Salut ! Désolée ! Je sais que ce n’est pas poli de dévisager les gens, c’est juste que… Je suis nouvelle, je ne connais personne et je ne pensais pas tomber sur quelqu’un ici. Et puis… Enfin je ne voulais pas paraître flippante en venant te parler comme ça… C’est le genre de scénario dans les films, pas dans la vraie vie…

Après son discours qui sentait la panique à plein nez, elle fixa Styx en attendant sa réaction. Un grand sourire apparut sur son visage. Styx ne souriait jamais et ce grand sourire était une chose rare, surtout depuis son arrivé à l’Institut. Mais il n'arriva pas à le retenir.

Relax ! Tout va bien. Tu n’es pas du tout flippante.

Styx inspira doucement sur sa cigarette pour prendre le temps d’observer la nouvelle venue. Il fronça légèrement les sourcils. On aurait pu croire que cela était dû au soleil qui perçait parfois entre les nuages. La fumée sortit doucement par son nez et entre ses lèvres.

Je m’appelle Styx et tu peux me tenir compagnie le temps d’une cigarette si tu veux. Mais pas d’obligation. Tu peux aussi reprendre ta promenade sur la plage. Comme tu veux. Je peux comprendre qu’on ait besoin de solitude. Surtout ici.

Surtout, il ne voulait pas prendre le risque de stresser encore plus la jeune femme. Elle semblait à deux doigts de prendre la fuite et faire peur aux meufs, ce n’était pas le genre de Styx. D’ailleurs, il n’avait pas l’habitude de provoquer ce genre de réaction chez les demoiselles. Voilà qui était inédit. Mais tout cela l'amusait beaucoup.

La jeune femme sembla hésiter puis s’installa près de lui. Enfin, pas si près que ça. Elle garda une certaine distance entre leurs deux corps. Elle se méfiait de lui. Est-ce qu’il lui faisait peur ? Quelque chose en Styx tenait les gens à distance mais cela lui faisait bizarre à chaque fois. Comme un petit coup de poignard dans le ventre. Comme s’il ne méritait pas qu’on lui fasse confiance. Peut-être qu’il déclenchait un espèce d’instinct de survie chez les autres. Tant mieux.

La brune repris la parole pour se présenter. Hyppolyte. Son prénom ne collait pas avec le personnage. En même temps, il ne savait pas trop s’il avait une gueule à s’appeler Styx. Il en avait la personnalité, ça c’était sûr mais pour le reste... Encore un mystère à éclaircir chez la nouvelle. Styx tourna le visage vers elle et acquiesça doucement. Il n’osa pas faire de geste brusque de peur de la faire fuir. Comme un petit animal craintif. Cette réflexion le fit sourire. Il allait devoir trouver un moyen détourné de la faire parler.

Tu es étudiant ici, c'est ça ?

Elle relançait la conversation, c’était plutôt bon signe. Elle c’était peut-être habitué à sa tête de taulard. Styx tira une nouvelle fois sur sa cigarette en fermant légèrement les yeux. Autant pour se protéger du vent que de la fumée.

Oui, je suis le parcours Business. Et toi ?

Styx la voyait bien dans l’art. Peut-être le dessin. Elle ressemblait à une artiste en tout cas. Mais pas le genre extravertie qui se vantait de son travail auprès de tout le monde. Non, elle était du genre artiste discrète comme Eydis. Repenser à Eydis lui serra le cœur. Elle aussi avait disparue du jour au lendemain de l’institut. Est-ce qu’elle avait subie le même sort que lui ?

L’ambiance semblait se détendre sur la plage. La brune conversait avec Styx sans avoir peur que celui-ci l’égorge derrière un rocher. Ou alors, elle arrivait très bien à le cacher. Le temps suivait le même état d’esprit que les deux élèves. Le vent s’était calmé et quelques rayons de soleil perçaient à travers les nuages. Un temps bien plus agréable pour flâner sur la plage. Styx terminait tranquillement sa cigarette quand il vit une expression étonnée prendre place sur le visage d'Hippolyte. Il aurait pu se vexer mais il était habitué à ce genre de réaction.

Ne pense pas que je te juge hâtivement, mais c'est un parcours un peu surprenant pour quelqu'un qui porte le nom du fleuve traversant les enfers et qui est couvert de tatouages.

Encore une fois, Styx ne pu retenir son rire qui résonna sur la plage silencieuse. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas ri aussi franchement. Mais l'honnêteté et la spontanéité de la jeune femme était tellement surprenante en ce lieu où tout était calculé qu’il ne pouvait lutter.

Je suis un jeune homme plein de surprises. Tu t’en rendra vite compte.

Styx termina sa phrase par un clin d’oeil complice. Si la brune savait la moitié de sa vie, elle partirait en courant loin de lui. Très loin. Comme la plupart des gens. Beaucoup aiment se vanter qu’ils adorent le danger, que leur trip est de flirter avec la mort. Mais quand tous leurs fantasmes deviennent réels, peu ont les couilles d’affronter la fureur des enfers.

Je suis plus prévisible je crois, je suis le parcours art.

Effectivement, prévisible. Styx avait vu juste. Il espérait qu’Hippolyte lui réservait tout de même quelques surprises et qu’elle n’était pas juste une artiste timide et réservée. Il sentait autre chose en elle, il savait qu’elle était bien plus que cela, qu’elle avait du potentiel. Mais était-elle prête à le laisser percer sa carapace ?

Quelle spécialité ?

Le dessin. Styx avait un pressentiment. Il voyait bien la jeune femme dessiner pendant des heures dans un coin reculé de l’institut, seule, ne remarquant même plus le silence autours d’elle. Aller, surprends-moi ! Styx fixa son regard dans celui dans la brune pour tenter d’y lire autre chose que les mots qu’elle voulait bien lui donner.

Styx c'est ton vrai prénom ?

Encore une fois, le jeune homme fut pris de court. Un sourire en coin étira ses lèvres alors qu’il tirait une dernière taffe sur sa cigarette. Il écrase celle-ci contre un bout de rocher et glissa le mégot dans la poche de sa veste.

Ouai, c’est mon vrai prénom.

Devait-il en dire plus ? Styx hésita à livrer un peu l’histoire de sa famille. Mais s’il voulait en savoir plus sur la belle brune alors il allait devoir faire un effort. A lui de bien choisir ses mots et de dévoiler seulement les parties innocentes de son histoire. Ce n’était pas mentir que de dévoiler seulement une partie de la vérité, non ?

J’ai grandi dans un club de bikers qui s’appelle les Sons of Hadès.

Jusque là, pas de scoop. Ce nom était inscrit sur son blouson.

J’ai été baigné depuis ma naissance par la mythologie grecques. Alors quoi de mieux que de porter le nom du fleuve qui traverse les enfers pour être proche d'Hadès ? Ma mère disait qu’on pouvait voir le fleuve rugir dans mes yeux, que mon prénom avait été une évidence à ma naissance.

Styx laissa son regard se perdre dans l’horizon. C’était une nouveauté pour lui de se livrer de la sorte. Il ne parlait jamais de sa mère. Jamais.

Ca doit être à cause de mon prénom que je suis devenu aussi con. Il fallait tenir la réputation !

Un sourire moqueur revint sur le visage du jeune homme. Il tenta de détendre l’atmosphère après ces quelques révélations.