Styx avait passé la journée à cogiter. Il avait eu l’autorisation de retourner à l’institut mais il avait réintégré les murs de l’établissement crevé et à bout de nerf. Il ne savait toujours pas quel sort lui réservait la Directrice, ni quel avenir s’offrait à lui. Mais après une bonne douche et un passage à la cafétéria, le jeune homme se sentait un peu mieux. Il était redevenu lui-même et il était de bien meilleur humeur. Il avait même envoyé un message à Romy pour lui proposer de se retrouver plus tard dans la soirée.

Pourquoi recontacter la jeune femme après la scène des escaliers ? Il ne le savait pas mais il avait besoin d’une alliée dans toute cette merde et Romy semblait vouloir l’aider. Elle était d’ailleurs la seule à sembler se préoccuper de son sort. Qui d’autre avait remarqué sa disparition ?

Après avoir avalé l’équivalent de 3 repas à la cafétéria et plusieurs litres de coca sous les yeux étonnés de ses camarades, Styx quitta la grande salle du réfectoire pour se rendre à la bibliothèque. Il ne savait pas si Romy allait se pointer mais la jeune femme était curieuse et il espérait qu’il comptait assez pour elle pour qu’elle vienne à sa rencontre. Il ne savait pas encore ce qu’il allait lui dire mais il fallait qu’il regagne sa confiance.

Alors que la nuit était tombée, Styx s’introduisit dans la bibliothèque silencieuse. Être dans un endroit interdit la nuit ne jouerait pas en sa faveur si la Directrice venait à l’apprendre mais vous savez ce qu’on dit, chassez le naturel… C’est donc uniquement éclairé par la lune que Styx se fraya un chemin jusqu’au rayon le plus éloigné de l’entrée. Inutile de se faire repérer par des oreilles indiscrètes.

Il s'assit par terre, dos contre le mur et attrapa un livre au hasard en face de lui. Les fleurs du mal. Hadès semblait vouloir se moquer de lui ce soir. Il l’avait bien mérité.

Je n’avais rien avalé ce soir mais plus picoré dans mon assiette. Quelques tomates, des œufs brouillés à peine touchés. Je me repassais en boucle l’épisode de cette fin d’après midi qui ne rimait à rien. J’avais mal supporté de me faire bouler par Styx que je pensais être une personne qui sait qu’elle peut compter sur moi. J’avais tout faux. Devant plusieurs étudiants il avait réussi à me faire capituler. Pas que je m’intéresse de près ou de loin à ce que pensent les autres mais rester loin des regards curieux était important pour moi. J’avais déjà trop vécu sous le feux des projecteurs pour quelque chose que je n’avais pas su maîtriser.

Mon portable vibre dans ma poche alors que je tente d’ingurgiter un yaourt qui n’a pas le moindre goût. L’annonce d’un message, un peu inattendu je dois le dire. Styx. Il souhaite qu’on se rejoigne à la bibliothèque, ce soir. Je lève les yeux au ciel, je suis perdue. Lui qui m’a demandé de laisser tomber alors que je voulais seulement l’aider, lui qui par je ne sais quel moyen m’a forcé à ne plus poser de question. Oui, j’étais perdue. Alors je ne répondis rien à son dernier message. Bien sûr que j’irai mais je préférais le laisser mijoter un peu, chacun à sa fierté.

Je remonte dans ma chambre, un peu moins tourmentée qu’avant le dîner. Ce mec va me rendre folle. Comme si je n’en avais pas assez d’un. Je prépare un legging et un pull large avant d’aller prendre une douche rapide. Je me rendrais juste après à la bibliothèque.

Me voilà propre, en route pour ce rendez vous clandestin. Je n’ose pas imaginer qu’elles seront les sanctions si nous nous ne faisons chopper. Mais qu’importe, j’ai bien trop envie de savoir ce qui se passe dans la tête de l’homme aux mille tatouages. Je descends les marches prudemment, marque un arrêt à l’entrée de la bibliothèque et y pénètre en étant sûre de ne pas être suivie. J’arpente les allées sans repérer âmes qui vivent et me dis qu’il doit s’être installé tout au fond.

Je ne me trompais pas. Il est là, assis, adossé au mur. Il ne bouge pas, je ne dis rien et m’installe près de lui dans la même position. Je ne romprais pas son silence, c’est à lui de le faire. Moi, têtue ? Non pas du tout.

La bibliothèque était plongée dans l’obscurité et seuls quelques rayons de lune venait briser les ténèbres ambiants. Ces rayons argentés donnait un ton presque magique à la pièce. Un silence épais régnait dans cette grande salle qui accueillait de nombreux étudiants durant la journée. Plongé dans son bouquin, Styx profitait de ce moment de calme avant que la tempête Romy ne débarque. Enfin, si elle venait. Elle allait venir. Il le fallait.

Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne. Alors qu’il relisait son poème préféré du recueil pour la dixième fois ce soir-là, un bruit attira son attention à l’entrée de la bibliothèque. Un bruit qui indiquait qu’une porte avait été ouverte puis refermée délicatement. C’était elle. Styx ne pouvait être certain que c’était bien Romy qui venait d’entrer dans les lieux mais son instinct était sûr que la blonde était venue le rejoindre. Le jeune homme continua à lire tranquillement son poème quand une forme s’approcha doucement de lui, avant de s’installer à ses côtés.

Le parfum floral de la blonde arrive jusqu’à Styx qui esquissa un sourire en coin. C’était donc partie pour un nouveau combat entre la Belle et la Bête. Tous les deux gardèrent le silence pour le moment. Romy donnait le ton de la soirée, elle en voulait toujours au jeune homme pour son attitude de connard de l’après-midi. Et elle avait raison. Fréquenter Styx était comme côtoyer une tornade. Il avait un don pour faire voler tous vos sentiments dans tous les sens, tout en contemplant la tempête qu’il avait déclenché avec délectation.

Ok, c’était donc à lui de briser le silence. Très bien. Allons y. Sans lever les yeux de son livre, la voix grave de Styx brisa le silence qui le couvait jusque-là.

Tu es finalement venue,  Blondie. Je vais vraiment croire que tu m’aimes bien, fait gaffe.

Oui, j’étais venue. Je me trouvais près de lui sans aucun regret. Pas un mot, pas un regard avant que je ne m’installe à ses côtés. Je devais tout de même lui montrer qu’il m’avait blessée. Je n’étais pas du genre rancunière, à lui faire payer son comportement d’aujourd’hui. Je voulais juste qu’il se rende compte qu’il avait été trop loin. Ni plus ni moins.

Tu es finalement venue,  Blondie. Je vais vraiment croire que tu m’aimes bien, fait gaffe.

Intérieurement je ne pu réprimer un sourire et ne pu m’empêcher de lui donner un petit coup de coude dans les côtes. J’avais envie de me tourner vers lui, de lui dire tout ce que je pensais, tout ce que j’avais sur le cœur. Mais je n’en fais rien, j’ai bien vu qu’avec lui il ne faut pas trop s’épancher sur les sentiments.

Dans tes rêves Wekesa.

Bien sûr que je l’aime bien même si c’est difficile à avouer. Je lui lance enfin un regard amusé mais tente de me reprendre aussitôt me rappelant que je suis censée lui faire un peu la gueule. Alors, pourquoi me faire venir ici ?

J’avais besoin de réponses et au fond de lui je sais qu’il le savait. Il devait percer le mystère Styx avant que je ne me lève et parte pour de bon. Cet homme ne semblait pas comprendre pourquoi on pouvait ressentir de l’affection pour lui. Il n’avait sans doute pas été beaucoup aimé durant son enfance pour ne pas saisir ce sentiment. Même à travers ses allusions envers moi, ça ressortait.

Elle était venue. Elle en avait donc quelque chose à faire de son sort. Elle ne pourrait plus nier maintenant qu’elle aimait bien le rebelle tatoué de l’institut. Mais elle semblait vouloir faire passer un message au jeune homme. Ouais, il avait merdé. Ok, message reçu 5/5. Pourtant, tout son corps criait qu’il était déjà pardonné malgré tout. Le sourire qui flottait sur ses lèvres ne trompait personne. Oh, pauvre Romy. Fait attention à ne pas te bruler les ailes en voulant t’approcher de trop près d’un fils d’Hadès.

Styx fut quand même soulagé de voir que la blonde n’était pas complètement hostile à leur discussion. Quand elle lui donna un coup de coude dans les côtes, il laissa même échapper un petit rire qui résonna dans la bibliothèque vide. Mais c’est quand leur regard se croisèrent que Styx compris qu’il pouvait faire confiance à Romy, qu’elle était là pour lui et que tout se passerait bien s’il ne foutait pas tout en l’air comme il en avait l’habitude. Mais Styx était-il seulement capable d’avoir une conversation honnête et sincère sans tout faire voler en éclat après ? Pouvait-il se livrer sans que ses barrières de protection reviennent au pas de course pour éloigner le moindre être humain qui tentait de l’approcher ?

Alors, pourquoi me faire venir ici ?

Aller, Styx tu peux le faire. Soit honnête. Laisse parler ton cœur. A cette pensée, Styx du se mordre la lèvre inférieur pour ne pas éclater de rire. Les mots de son père résonèrent dans sa tête comme si cet enfoiré c’était trouvé devant lui. Les fils d’Hadès n’ont pas de cœur. Ils ont des tripes, ils ont la rage mais ils n’ont certainement pas de cœur. Les sentiments te rendent faible. Ne fait jamais cette erreur, Styx. Peut-être que le temps de trahir son père était venu. Jusque-là ses conseils n’avaient rien donné de bon, il était temps de passer à autre autre tactique.

Styx posa son livre à côté de lui et se racla la gorge.

Ouais, je sais pas trop par où commencer en fait.

Il inspira profondément pour se tourner vers la blonde et plonger ses yeux dans les siens. Tu peux le faire Styx.

J’ai essayé de me barrer de l’Institut et je me suis fait choper sur un baeau de pécheur. On m’a foutu en isolement plusieurs jours comme punition. La Directrice m’a autorisé à revenir dans l’Institut mais je ne sais pas si je vais pouvoir rester. J’attends son jugement.

Il avait tout déballé d’un coup. Sans s’arrêter. Impossible de revenir en arrière. Le silence était devenu lourd entre eux. Styx attendait la réaction de la jeune femme. Il avait tellement de chose à lui dire mais il ne savait pas comment. Il s’attendait à ce qu’elle se lèvre, le traite de connard égoïste et le laisse comme un con tout seul dans la bibliothèque.

J’attendais qu’il me parle enfin. Qu’il se livre à moi sans pudeur comme je l’avais fait la dernière fois. Avec tout ce que j’avais fait pour m’assurer qu’il allait bien dans le hall d’entrée, il ne pouvait pas douter de moi et de mes intentions. Après une attente interminable, il prononce enfin quelques mot, m’avouant qu’il ne sait pas trop par où commencer. Je ne peux l’empêcher de l’encourager même si je suis censée faire ne serait ce qu’un peu la gueule.

Commence par où cela te semble mieux. Te prends pas la tête, ce n’est que moi.

Je me tourne enfin vers lui, mes yeux dans les siens comme pour lui apporter un appui sur lequel il peut se reposer. Il commence à me raconter et franchement je m’attendais à tout sauf à ça. Pourquoi avait il voulu quitter l’institut? Je pensais qu’il s’y sentais bien. Mais après tout je ne le connais pas assez pour émettre des hypothèses sur son compte. Je buvais ses paroles, soulagée qu’il me balance tout enfin. Mais je ne pu qu’être surprise face à sa confession. Le mettre à l’isolement ? Comment peut on oser faire ça ? Nous sommes libres de partir quand bon nous semble, non ? Mon cœur se mit a battre et d’un coup je ne me sentais pas si libre que ça. Il attendait l’avis de la directrice, savoir s’il pourrait rester ici. Je fronçais les yeux, ne comprenant pas vraiment ou était sa faute ? Il avait juste voulu quitter l’île, c’était un peu lourd comme sanction.

Toujours mon regard accroché au sien, je lui réponds après un petit temps d’attente comme pour rassembler mes idées. Wow. Et bien, je dois t’avouer que je m’attendais à pire que ça. ´Fin t’avais l’air si mal tout à l’heure que ça me semble disproportionné tout ça.

Je me demandais s’il comprenait ou je voulais en venir, il fallait que je sois plus claire. L’isolement ça fait un peu prison je trouve. J’sais pas t’as juste voulu partir.. mais pourquoi d’ailleurs ?

J’étais peut être trop laxiste, pas assez attachée au règlement mais tout ça me paraissait un peu abusé.

La Blonde ne semblait pas comprendre la situation de Styx, pourquoi il avait fait ça et pourquoi il c’était retrouvé en isolement. En même temps, il ne pouvait pas la balmer. Elle ne connaissait pas son histoire, ni d’où il venait et encore moins sa relation complexe avec son frère. Leur monde était tellement opposé que Styx se demandait parfois si elle serai capable de le comprendre. Il était persuadé qu’à la moindre évocation des guerres de gang, de son club ou des armes, elle prendrait la fuite loin, très loin de lui.

L’isolement ça fait un peu prison je trouve. J’sais pas t’as juste voulu partir.. mais pourquoi d’ailleurs ?

Elle lui tendait une perche pour se livrer, pour lui raconter tout depuis le début jusqu’à son arrivé à l’Institut. Est-ce qu’elle était prêt à tout entendre ? Styx ne faisait jamais entrer personne dans son monde mais sur cette île, ils étaient en sécurité, non ? Même s’il racontait tout à Romy, dans l’obscurité de cette bibliothèque, elle ne risquait rien hein ? La tentation était forte. Les mots se bousculaient déjà sur les lèvres de Styx, sa langue était impatiente de se délier. Il avait envie, non besoin de se libérer de tout ça. Il ne pouvait plus garder autant de secret pour lui.

Il prit doucement la main de la blonde dans la sienne, comme pour la rassurer, comme pour lui demander silencieusement de rester près de lui.

Romy, il faut que tu saches…

Au moment où Styx allait commencer son histoire, un grondement sourd résonna dans sa tête et tout devint sombre. L’obscurité gagna sa vision et Sa voix résonna. Elle était de retour, Elle ne l’avait pas abandonné finalement. Elle lui avait dit qu’Elle serait toujours à ses côtés. Cette voix qu’il craignait autant qu’il l’a respectait. Styx n’osait s’avouer à lui-même qu’il attendait avec impatience qu’Elle fasse son retour. Il l’attendait et il était prêt cette fois. Mais Elle ne semblait pas apprécier qu’il se confie à Romy. Pleurnicher, lui ? Non, il voulait seulement… Seulement quoi ? Se plaindre ? Être réconforté ? Qu’on s’occupe de lui ? Oh pauvre Styx, Elle avait raison. Ce n’était pas toi. Tu es un fils d’Hadès, tu n’as besoin de personne.

Styx retrouva la vue et ses yeux se plongèrent dans ceux de la blonde toujours face à lui. Il lâcha doucement sa main et un orage sembla éclater dans les yeux du jeune homme. Le doux Styx s’éteignit et la rage, la colère firent de toujours leur apparition. Romy ne devait pas savoir. Elle n’était pas prête. Elle n’était pas de son monde, elle ne comprendrait pas. Alors que Styx allait ouvrir la bouche pour reprendre la parole, l’ambiance devint lourde autours d’eux, pesante, électrique. Le temps semblait suspendu et au loin, une porte claqua.

Par réflexe, Styx bondit sur ses pieds, les poids serrées, prêt à se battre contre l’individu qui venait de pénétrer dans la bibliothèque. Mais il savait au fond de lui que c’était Elle qui avait fait ça, comme pour le mettre en garde. Le silence remplit de nouveau la bibliothèque, tout était immobile. Styx se tourna enfin vers Romy et lui tendit la main.

Il faut qu’on sorte d’ici. Tout de suite.

Sa voix était implacable. Il en laissait pas le choix à la blonde. Il devait sortir de la bibliothèque avant qu’Elle passe au niveau supérieur et s’en prenne vraiment à eux. Qu’elle s’en prenne à lui, il s’en fichait pas mal. Mais pas Romy. Non, il ne pouvait pas la mettre en danger.